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Rated: E · Fiction · Sci-fi · #1761676
Tragic story of a lonely planet populated with robots.
ROB

Tout à fait à l’autre bout de l’espace, à une telle distance qu’il est probable que nous n’en saurons jamais rien, se trouve la planète Rob, unique planète habitée, entourée d’une petite planète morte et en orbite autour d’une unique étoile. C’est d’ailleurs tout ce qui existe dans cette énorme portion d’univers.

La petite planète sert de lune à la planète Rob, procurant ainsi la seule source lumineuse du côté habité, éternellement plongé dans la nuit par le jeu des orbites de Rob et de sa lune, qui reste toujours au même point du ciel de Rob.

Rob est habitée de robots, 40.000 au total, réunis en quatre villes identiques. Chaque ville est composée de quatre immeubles d’habitation, d’une usine et d’une centrale électrique.

Les immeubles sont numérotés de 1 à 4 et accueillent chacun 2.500 robots. Ces robots logent 4 par 4 dans un studio qui compte quatre lits, est éclairé par un globe lumineux électrique et comporte deux fenêtres (sans carreaux). Un cagibi sert de poste à huilage et graissage.

Les journées sont arbitrairement divisées en 40 heures. Chaque immeuble occupe une tranche horaire de 10 heures en continu à l’usine centrale. L’immeuble 4 par exemple se vide à 30 heures précises de ses 2500 robots qui entrent dans l’usine sise à 250 mètres jusqu’à 40 heures où ils sont relayés par ceux de l’immeuble 1 et ainsi de suite.

L’usine produit des robots et des pièces de rechange pour robot afin de perpétuer la population. Chaque robot vit 4.000 journées, après quoi il se précipite de lui-même dans le four central afin d’être transformé en métal qui sera utilisé pour la production de robots neufs.

Après 10 heures dans l’usine le robot se rend à la centrale électrique afin de reconstituer son capital énergétique. Il s’allonge 10 heures sur une table tandis qu’une prise branchée sur son thorax métallique lui transmet l’énergie nécessaire pour une nouvelle journée.

Le robot ravigoté rentre ensuite dans son studio se huiler, se graisser ; puis, afin d’entretenir ses mécanismes, il marche de long en large dans son studio en parlant avec ses trois cooccupants. Les phrases, rituelles, sont destinées à vérifier que le robot ne souffre d’aucune tare. Sinon il utilise ces dix heures pour se faire réparer.

Pendant les dix heures qui restent les robots s’allongent afin de soulager leurs mécanismes. Ensuite ils vont à l’usine, et ainsi de suite jusqu’à la 4.000ème journée où l’usine branche une nouvelle génération de 2.500 robots préprogrammés qui occupent l’immeuble laissé vacant par 2.500 autres robots partis se précipiter dans le four central de la même usine.

La 4.000ème journée voit ainsi tous les habitants d’un immeuble se renouveler – il en est ainsi dans les 4 villes simultanément. La 4.000ème journée est un jour exceptionnel car les robots ne travaillent pas, l’usine étant occupée à sortir les robots neufs et à fondre les anciens. Aussi ce jour perdu est occupé par les élections.

Ce jour là les immeubles votent l’un après l’autre pour désigner les remplaçants des robots dirigeants et des robots spécialisés affectés aux tâches non standardisées de l’usine et de la centrale électrique. La responsabilité des élus est d’assurer la bonne marche de chacune des villes de Rob, ce qui ne pose pas trop de problèmes car le système a toujours parfaitement fonctionné jusque là.

Ce ne sont pas de vraies élections de toute manière. Les robots élus sont en effet choisis selon leur solidité. Dans ce but chaque robot dispose sur son épaule d’un compteur qui enregistre le degré d’usure et, handicap de poids, le nombre de réparations. C’est habituellement lors de ces dix heures de marche dans le studio que les meilleurs robots apparaissent : ils conservent des mécanismes intacts de toute usure, ce qui se ressent dans leur comportement irréprochable. Les meilleurs compteurs sont relevés, et il ne reste plus à la population qu’à les élire par ordre décroissant pour chaque ville.

Un président, quatre conseillers, quatre vingt quinze spécialistes, et le tour est joué. Les élus disposent du privilège de survivre 2 jours de plus en ce qui concerne le président, et un jour de plus pour les autres, afin que la jonction entre l’ancienne et la nouvelle équipe se fasse en toute sécurité.

Autre particularité : l’équipe dirigeante ne suit pas l’horaire de la ville, pouvant être appelée à tout moment. Si les spécialistes mènent une vie à peu près régulière, les dirigeants reçoivent une quantité d’énergie double de celle d’un robot normal, afin de moins dormir, de penser plus longtemps avec un coefficient linguistique supérieur.

D’autre part ils ont accès à l’ordinateur central unique aux quatre villes et sont donc au fait de l’histoire de Rob puisque tous les évènements notoires y sont y consignés pour mémoire.

Cet ordinateur n’est consulté que par le président. D’une grande capacité, il contient pourtant peu d’informations. On y trouve deux remarques générales écartant le dirigeant de deux erreurs essentielles et trois évènements qui ont porté atteinte à l’intégrité du système.

Les deux remarques générales sont les suivantes :

. La première qu’il est impossible de savoir comment est né le système organisant la planète Rob en quatre villes au rythme immuable. Se poser la question est inutile, ceci risquant de surchauffer ou même griller les circuits de pensée si un tel raisonnement était engagé sur ce sujet.

. La seconde qu’il ne faut pas non plus songer à installer les circuits du côté éclairé de Rob : cela permettrait des économies d’électricité mais le déplacement est impossible puisque chaque robot a quotidiennement besoin de sa part d’énergie, et qu’il devrait s’en passer le temps du voyage. La reproduction ne serait plus assurée, les pièces de rechange manqueraient, les robots tomberaient en panne d’électricité et les villes désorganisées se mourraient. Cette idée était donc à écarter définitivement.

Les trois évènements marquants sont tous survenus par la coïncidence rarissime d’au moins deux pannes exceptionnelles du système robien.

La première est celle de B3 2013. Dans l’immeuble 3 de la cité B le 2.013ème robot était de mauvaise qualité, au point qu’il dut subir un nombre record de réparations. Une journée en descendant à l’usine, B3 2013 chuta dans l’escalier, probablement à cause de son état défectueux, car aucun robot normal ne diverge d’un centimètre de son circuit habituel. Sous le choc, B3 2013 différa de son circuit de programmation, et il se mit à discuter dans l’usine tout en travaillant, alors que les robots travaillent en silence.

Non seulement il parla mais il posa des questions non programmées. Ses voisins en l’entendant appelèrent par signes un spécialistes qui accourut. Le spécialiste perçut rapidement la gravité de l’incident et contacta dans l’instant le président lui-même. Ce dernier fit chercher un autre robot dans l’immeuble 1 alors en phase d’entretien, choisi pour sa bonne marche-compteur. Il remplaça B3 2013 qui fut emmené à l’atelier de réparation. Mais l’événement frôla la catastrophe. B3 2013 posa les questions interdites : d’où venait l’organisation robienne ? Pourquoi ne pas aller profiter du soleil éternel de l’autre côté de Rob ?

B3 2013 était déjà loin lorsqu’il hurla ces questions. Les spécialistes surent ne pas l’écouter. Mais on pouvait craindre qu’une partie des robots de la chaîne ne l’aient entendu, qui auraient pu en débattre pendant leurs heures d’entretien.

B3 2013 fut révisé de la tête aux pieds, on effaça la partie endommagée de sa mémoire, et il fut restitué à sa cellule, tandis que son remplaçant était rendu à la sienne – et l’on surveilla le tout soigneusement, prêt à intervenir si l’un des robots proches de B3 2013 revenait sur l’événement. Les spécialistes se surmenèrent durant cette période.

Cependant B3 2013 reposa problème peu après. Dès le lendemain B3 2013 ne se rendit pas à l’usine. Il n’était pas surveillé puisque les techniciens l’avaient révisé.

Il fit ce qu’aucun robot – pas même le président – ne fit : il sortit de sa ville, et s’éloigna démesurément loin. Il semble qu’il ait voulu rejoindre le côté éclairé de Rob. Il ne revint jamais, et il est certain qu’il a dû s’effondrer en panne d’énergie sans y être parvenu. Il apparaît qu’il est impossible de totalement effacer un événement des circuits des robots. Surtout usagé et défectueux. Les spécialistes durent produire un remplaçant à B3 2013 et après quelques craintes l’événement fut enfin classé dans l’ordinateur central.

Le second événement en apparence bénin pouvait potentiellement provoquer une catastrophe. Les acteurs en sont D4 11, D4 12, D4 13 et D4 14. Ces quatre robots étaient eux en parfait état, figurant en bonne place pour être élus. En se faisant régénérer à la centrale électrique ils reçurent chacun le double de leur part normale, accidentellement, ce qui leur permit d’accéder au niveau logiciel du président, de se reposer peu ou prou, et de discuter tous quatre entre eux puisqu’ils occupaient le même studio.

Nul ne sut ce qu’ils échangèrent puisqu’ils étaient en apparence normaux. Mais ils se posèrent probablement les mêmes questions interdites et, étant au nombre de quatre, s’empêchèrent mutuellement de griller leurs circuits de pensée. Pendant leurs heures d’entretien ou de repos, ils dérobèrent du matériel aux techniciens ainsi que quatre robots qu’ils surent brancher. Ces robots travaillaient à leur place, recevaient comme eux le double d’énergie : D4 11 à D4 14 leur en reprenaient la moitié pour eux-mêmes, afin d’envoyer deux des leurs aux alentours de la cité ou dans la cité. Dans quel but ? Nul ne sait. Mais d’après leurs préparatifs, ils semblaient s’apprêter à déstabiliser simultanément les quatre villes, dans le but de les rebâtir à leur idée, du côté éclairé de Rob très certainement.

Ils n’en eurent pas l’occasion pour plusieurs raisons. D’abord le régime qu’ils s’imposaient – peu de repos, trop d’entretien et des doses irrégulières d’électricité – mit à mal leur robuste constitution et ils s’affaiblirent au point de ne presque plus poursuivre leur plan. Ensuite les spécialistes furent alertés par une perte quotidienne d’énergie à la centrale. Repérer les quatre générateurs défectueux prit un certain temps, mais en définitive le pot aux roses fut découvert.

Cette fois les enseignements tirés du cas B3 2013 furent appliqués pour D4 11, 12, 13 et 14 qui furent précipités dans le four central. Ce furent d’ailleurs les quatre seuls robots qui refusèrent de s’y jeter d’eux-mêmes. Les quatre robots dérobés furent laissés en lieu et place après vérification ; les générateurs déréglés furent réparés et l’affaire, que n’avait perçue aucun robot, fut classée dans l’ordinateur.

Le dernier événement fut le plus grave, du moins pour les quatre équipés dirigeantes des quatre cités. En effet dans l’usine de la ville B la chaîne 3 produisit… un robot de trop ! Il y eut en effet une fournée de 2.501 robots, phénomène rigoureusement inexplicable.

Les spécialistes ne s’en rendirent pas immédiatement compte lorsque la 4.000ème journée – exceptionnelle – ils branchèrent les robots. Les nouveaux robots remplissant par ordre de fabrication les immeubles, ce fut dans l’immeuble 3 que l’on trouva un B3 2501. Les robots se trouvant au nombre de cinq pour une cellule, l’un d’eux trouva un spécialiste qui consulta aussitôt le président. En cette période exceptionnelle, le fait pouvait être suivi des pires conséquences.

Le président tint un conseil exceptionnel avec son nouveau remplaçant et les deux équipés dirigeantes – l’ancienne et la nouvelle. Ce fut un drame de logique mais il fut résolu que B3 2501 devait disparaître, ce qui violait toutes les lois et les normes robiennes.

On fut quérir B3 2501, on lui expliqua pourquoi à peine fabriqué, il devait aussitôt être refondu. Il admit son sort et accepta la chose. On affirma à ses compagnons de cellule que B3 2501 avait été affecté dans un autre immeuble en remplacement d’un robot définitivement hors d’usage, ce qu’ils crurent bien que ce fut un mensonge énorme puisque jamais aucun robot ne tombait définitivement en panne.

Cet événement ne fit aucune vague, mais les dirigeants furent vivement choqués qu’une erreur aussi énorme puisse survenir sans qu’aucune explication plausible ne soit trouvée. On songea quelque temps à un retour vengeur de B3 2013 mais aucun événement ne survenant par la suite le fait fut classé « affaire d’Etat ».

Manière comme une autre d’affirmer qu’aucune structure n’est à l’abri de l’avenir imprévisible. Les dirigeants remplirent l’ordinateur de consignes de sécurité qui étaient en définitive surtout des mesures affirmant la fragilité d’un système que l’on croyait à toute épreuve.

Mardi 23 juin 1982, par une noire semaine…

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