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Rated: E · Short Story · Family · #981700
L'automne de la vie, vue par un homme.
Ce n´est pas une belle journee, pourtant, il faut bien sortir et aller chercher son pain.


Cette phrase, Edmond se la répète chaque jour, et chaque jour, il se fait violence pour ne pas rester enfermé, pour faire quelque chose. Son docteur lui a conseillé de s´imposer des travaux, alors il s´impose la vaisselle, sa toilette et un coup de balai. C´est à peu près tout ce qu´il est capable de faire en presque dix heures, ca et la corvée du pain.

Depuis que sa femme est partie, rien n´a plus le même goût, ni la vie, ni les aliments, ni le vent dans sa bouche...


Il pousse le portail de bois.


- Il faudrait réparer ce fichu truc, euh, portail, mais quand?


De loin, il apercoit Francis, le chauffeur de bus. Il jette un coup d´oeil à droite, à gauche. Il serait difficile de changer de trottoir, de toute facon, il hoche déjà la tête à son égard, c´est trop tard.


- Ed, mon vieux, alors, comment va?

Et c´est parti pour une série de bons conseils du bon pote. Francis est vieux garcon, comme on dit, sauf quíl était déjà vieux avant mais il ne s´en rendait pas compte. Qu´aurait-il fallu pour qu´il prenne soudain conscience de sa médiocrité?


Ils se serrent la main avec chaleur, et Francis s´éloigne d´un pas décidé.


Les choses se bousculent dans sa tête. Il y a vingt ans, ils commencaient tous leur vie. Francis et ses potes, ils avaient vingt ans, il aimaient le rock, les filles, le whisky, ils détestaient l´armée, le travail, les conseils des vieux...


Francis enviait ses amis en secrêt. Ils avaient tous un flirt, de jolies poupées qui les suivaient partout et avec lesquelles ils aimaint s´isoler. Pour lui, les filles étaient mystérieuses, arrogantes, elles avaient l´air de tout savoir, et il regardait avec des yeux admirateurs ses copains qui jouaient aux machos devant ces demoiselles et se transformaient en agneaux lorsquíls avaient conquis la belle.

Edmond était le meilleur, le "tombeur" du groupe, il avait toujours les plus jolies filles autour de lui, et il semblait si sûr de lui. Il épousa celle que tout le monde voulait. Francis en crevait de jalousie mais il était fier comme un coq sur la photo de mariage où ils avaient tous mis un costume noir orné d´une rose blanche.


Aujourd´hui, le petit groupe n´etait plus le même, la vie allait bon train avec son lot de désillusions. Vingt ans plus tard, la vie leur avait enseigné beaucoup de choses, mais Francis se sentait toujours stupide devant une femme, et il trouvait toujours que les fils et filles de ses anciens potes était plus intelligents que lui.


Il aurait aimé aimer et être aimé...


En tournant le coin de la rue, il croise Bastien, le fils de Jean. Pourquoi ce gamin prenait-il un malin plaisir à s´enlaidir, c´était pourtant un si mignon bébé. Il lui tendit les bras et se sentit aussitôt ridicule. Bastien avait grandi, il fallait lui serrer la main ou lui taper sur l´épaule, mais Bastien lui tomba dans les bras.


- eh, eh, alors mon grand...
- Francis, merci, d´un peu plus je m´étalais par terre...


Bastien se redresse et échange quelques politesses avec le viel ami de son père avant de s´éloigner rapidement. Il a rendez-vous avec Edith et elle lui fera encore une scène s´il a deux minutes de retard. En plus, il a bu un verre avec son cousin et elle va le lui reprocher. Comment s´est-il laissé prendre au piège par cette fille. Au début, tout était parfait, mais plus leur relation est devenue sérieuse, plus la pression s´est renforcée. D´abord les parents respectifs qui font des projets avant même que les idées ne leur viennent, et puis Edith qui lui impose ses demandes de plus en plus pesantes, des attitudes, comment lui dire qu´à vingt-et-un ans, il a envie de vivre, de s´amuser, de faire quelques bêtises qu´il regrettera, un peu comme son père, de voyager. Edith a l´air tellement pressée de s´installer, un loyer, un travail, pourquoi pas un enfant ou deux... Ciel, Bastien se demande ce qu´il fait dans ce film... Mais comment en sortir sans faire de mal à personne? Ils ont l´air tous si heureux qu´il soit si sérieux et lui, il voudrait tellement autre chose.


De loin il voit Edith près de l´arrêt d´autobus. Il l´appelle et elle se retourne. Le sourire qui éclaire son visage lui réchauffe soudain le coeur. Il s´élance vers elle avec ces mêmes élans qui lui sont familiers. Ce doit être l´amour, cette envie de la prendre dans ses bras et de la serrer du plus fort qu´il peut. Il a déjà oublié les pensées qui assombrissaient son ciel quelques minutes plus tôt.


En traversant la rue, il ne voit pas un cycliste qui approche et malgrè les cris d´Edith, il ne peut éviter la collision.


Marc se relève. Ce n´est pas très grave. Plus de peur que de mal. Bastien lui tend la main.


- Excusez-moi, je suis un peu dans les nuages.


En voyant Bastien se diriger vers Edith, Marc sourit, puis il se retourne pour rassurer les passants inquiets avant de s´éloigner en poussant sa bicyclette endommagée. Il jette encore un regard vers le couple d´amoureux enlacés de l´autre côté de la rue. Il n´y a pas si longtemps, il était lui aussi amoureux. Et puis la vie lui a ravi femme et enfant sans avertissement. Le temps passe et les dates anniversaires de l´accident se font de moins en moins douloureuses et de plus en plus tendres. La colére a laissé place à une apparente sérénité et il est à nouveau invité par ses vieux amis. Il ne fait plus peur à personne, on n´a plus d´angoisse à citer des prénoms douloureux, à se rappeler les bons moments. La vie est presque redevenue normale. Il respire à pleins poumons. Il fait bon aujourd'hui, Anna aurait aimé ce temps et Samuel aurait pû courir après les pigeons. La vie aurait été belle aujourd'hui...


- Ep! Vous lĂ -bas!

Marc se retourne vers un homme d'un certain âge.

- J'ai vu l'accident, je peux témoigner.

Marc le rassure, il n'a aucune intention de poursuivre, c'est un incident, rien de plus. L'inconnu insiste, et marche à ses côtés.


En fait, Monsieur Faure a juste envie de parler et de faire un bout de chemin avec quelqu'un qui l'écoute, même sans lui répondre.


Il y a plus de dix ans que sa femme l'a quitté. Ils ne s'entendaient plus depuis longtemps. En fait, leur mariage avait été une erreur. Ils étaient trop jeunes, trop inexpérimentés, trop amoureux, trop passionnés, ils ne voulaient pas attendre. Les enfants sont nés trop vite, la vie n'avait pas vraiment la saveur qu'ils avaient espéré. Leur liberté était entravée par cette famille trop présente, les parents, les oncles, tantes et leurs trois enfants. En fait, le départ de sa femme avait marqué pour lui un nouvel éveil. Elle avait emmené les enfants et les premières années, il n'avait pas cherché à savoir ce qu'ils devenaient. Sa femme avait demandé et obtenu le divorce et il avait crû tirer un trait sur son passé. Jusqu'à hier. Dans la rue, par hasard, il avait rencontré son fils. Tout à coup, des années d'ignorance lui avaient sauté au visage, la colère du fils abandonné le jeta dans l'effroi. Il avait fait souffrir sa famille, il ne l'aurait jamais crû. Puis le fils s'était calmé, mais il n'avait pas voulu l'embrasser. Il avait quand même promis de venir diner aujourd'hui, et c'est pour cela que Monsieur Faure allait à la boulangerie. Pour la première fois depuis des années, il allait manger avec son fils, son enfant, son petit, et il allait lui parler d'amour, et il allait le choyer, parce qu'il ne savait pas que quelqu'un, quelque part languissait de le revoir, souffrait de son absence et cela faisait du bien, tellement de bien de se savoir voulu et attendu, même si pour le moment il était terriblement angoissé à l'idée de se trouver face à face avec ses responsabilités de père.


Marc l'Ă©coute avec attention. Monsieur Faure avait besoin d'une oreille. Lorsqu'ils approchent de la boulangerie, Monsieur Faure lui tend la main.


- Merci, Petit.

- Aurevoir Monsieur, et bonne chance!


Monsieur Faure sourit, il est heureux que ce jeune homme l'ait écouté. Lorsqu'il l'avait apercu, il l'avait trouvé tellement triste, qu'il avait voulu aider, car il croyait qu'à cause de l'accident... Mais non, c'était bien autre chose, il ne saurait jamais quoi, parce qu'aujourd'hui, il n'aurait pas su écouter.

Perdu dans ses pensées, il bouscule un passant, qui sort du magasin.

Les deux hommes se regardent un moment en silence. Ils se connaissent, mais d'oĂą? de quand?

Tout d'un coup, Monsieur Faure se souvient.

- Edmond Michel, bon Dieu, ce vieil Ed! Si je m'attendais!

Edmond le regarde toujours avec les mêmes yeux étonnés.

- Et bien, c'est Antoine, Antoine Faure, le lycée Berthelot, quoi, me dis pas que tu as oublié!


Le regard d'Edmond s'allume soudain. Il se rappelle. Bien sûr. Ils avaient fait les quatre cents coups ensemble. Ils avaient même monté un groupe de rock. Bon sang, c'était bien loin!


Edmond ne se sent pas le coeur de raconter sa vie, et Antoine a l'air tellemement heureux de le revoir. La vie semble lui avoir réussi. Edmond prend conscience de son apparence en examinant discrêtement son vieil ami. Pantalon gris, chemise blanche, veste noire, les cheveux fraichement coupés, rasé de près. Tout le contraire de lui. Il a tout à coup envie de rentrer chez lui, prendre un bain pourquoi pas, s'arranger un peu, mais Antoine veut parler.


- Il faut que j'y aille... Laisse-moi ton téléphone.


Avec un soupir de soulagement, il s'éloigne. Il appellera Antoine et ils reparleront du bon vieux temps, mais pas aujourd'hui. Ce n'est pas une bonne journée pour les souvenirs.


En tournant le coin de sa rue, Edmond voit une voiture garée devant sa maison. La voiture de sa femme, son coeur s'emballe, son pouls s'accélère, il pose la main sur le portail qu'il faudrait repeindre.


Son fils Eric est sous le porche.

- Bonjour Papa!

- Bonjour, mon chéri.


Eric sourit, son père est devenu très tendre avec lui et sa soeur depuis le départ de sa mère. Un changement important dans la vie de la famille.

- Comment va ta mère?


Toujours la même question, toujours la même réponse, Edmond ne se fait pas au "c'est fini!".

Ils entrent tous les deux. Edmond fait du café et l'odeur si familiale emplit la maison toute entière:


Eric se demande ce qu'il aurait ressenti si son père avait vendu la maison. Un divorce, c'est toujours un échec et cela n'épargne personne. C'était tellement vrai! Il avait encore mal du vide laissé par sa mère dans cette maison, et mal de la voir vivre dans un petit appartement. Pourquoi? Après tant d'années passées ensemble, pourquoi partir pour vivre seule? Cela ne servait à rien de poser la question à son père. Les raisons, les pourquoi, les comment, ce n'était pas de leur domaine à eux, les hommes. Sa soeur, elle, semblait être initiée et les deux femmes avaient des murmures et des secrêts qu'il n'aurait jamais voulu connaître.


Edmond lui tend une tasse. Il sont debout devant la baie vitrée. Ils regardent le jardin comme ils l'ont toujours fait tous les deux quand ils sont seuls. Eric écoute la respiration de son père, pour lui, c'est le ronronement le plus paisible qu'il ait jamais connu, celui qui le veillait lorsqu'il était malade et qui l'accompagnait pendant les petits-déjeuners de rentrée des classes.


Eric inspire profondément et lance avec le plus de douceur possible la phrase pourtant si simple qu'il répète depuis des heures.


- Papa, je vais avoir un enfant.


Edmond garde les yeux fixés sur le magnolia et d'une main tremblante cherche l'épaule de son fils. Depuis plusieurs mois, il ne maîtrise plus ses sentiments. Il attire son fils contre lui, en le serrant bien fort comme il a toujours aimé le faire et, sans trop savoir pourquoi, il commence à pleurer en silence.
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