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Labarthe est un village a 60 kilomètres de Bordeaux. Le fief de ma famille. |
C'est une bâtisse carrée, blanche sous son toît de tuiles rouges, au pays des tuiles rouges, à la sortie du carrefour, à gauche en descendant vers Camiran. Des belles de nuit, des belles de jour lui font un bouquet coloré et parfumé. On y entre par un portail de bois qui s'ouvre sur un jardin de rocailles arrangé avec le goût d'une autre époque, proprement ordonné, symétriquement joli, décoré de fleurs multicolores bien taillées, bien rangées et qui se dressent fièrement sous le soleil du matin pour faire honneur à la main verte qui les a plantées, arrosées, caressées. On monte un escalier, cinq ou six marches et on est déjà sur le perron, sous l'avancée en bois qui prolonge le toît pour nous protéger de la pluie, du soleil, c'est selon... On peut alors s'asseoir sur une chaise longue dans la chaleur de l'air et respirer le parfum des belles de jour, embrassant la vallée du même regard qu'avaient autrefois les ancêtres aujourd'hui endormis dans ces murs, ce sol, cette odeur de campagne, ces volets repeints et ces portes aux charnières huilées. Les feuilles de l'érable se secouent dans un bruissement ombragé. Quelques mouches virevoltent, faisant vibrer leurs ailes minuscules. De temps en temps, le grognement d'un tracteur parcourt les champs, l'appel lointain d'une vache complète ce silence. On peut fermer les yeux à demi en se laissant aller tranquillement. La vie s'apaise devant cette maison calme. Leur maison, notre maison, mon passé, mon histoire. L'histoire, ce n'est pas les faits, mais ce qu'on en dit, et moi, ce que j'en dis, c'est ce que j'en vois et j'aime ces murs blancs et l'érable généreux, et le jardin rocailleux... Au printemps, le soleil timide tient tête au vent qui fuit la vallée, les fenêtres du village s'ornent peu à peu jusqu'en été où, quand les autres se reposent, la campagne s'affaire sous la chaleur et c'est un concert de machines, de chants et de cris d'animaux qui accompagne la vie jusqu'à l'entrée de l'automne. Les enfants s'enferment alors toute la journée, les granges se remplissent et les arbres jaunissent. Puis vient l'hiver avec son souffle froid, glacial parfois et son rideau de pluie. Tout au long de l'année, la bâtisse carrée reste imperturbable, ferme la bouche et les yeux pour protéger ses petits, ou au contraire s'égaye et chante aux belles saisons. J'aime cette maison et sa mémoire au grenier que l'on dépoussière régulièrement en évoquant "le bon vieux temps". J'aime cette maison de famille de cent ans, ma maison blanche sous son toît de tuiles rouges, au pays des tuiles rouges, dans le réolais, à la sortie du carrefour de Labarthe, à gauche en descendant vers Camiran. Fin |